C’EST PRESQUE COMME UNE MALÉDICTION, QUELQUE CHOSE D’IRRATIONNEL : DEPUIS LE DÉBUT DE L’HIVER, LE CHAMPION DE SÉBASTIEN GUARATO A ENCHAÎNÉ LES 2E PLACES, NE PARVENANT PLUS À GAGNER. ET SI ÇA SE PASSAIT DANS SA TÊTE ?

Franchement, on ne s’attendait pas à tirer un fil aussi long en démarrant cette enquête visant simplement à essayer de comprendre ce qu’il se passait actuellement dans la tête de Bold Eagle. Etait-il conscient d’avoir un tantinet déçu cet hiver ? Y a-t-il des raisons mentale à ses 2e places à répétition ? Aurait-il perdu son caractère de winner ?

On n’a pas eu de réponse. Mais au fil de nos échanges, on s’est posé plein de nouvelles questions.

En psychologie du sportif humain, on a coutume de dire que 50% de la performance est déterminée par le mental. Mais chez les chevaux, on a souvent tendance à faire fi de la psychologie pour expliquer les contre-performances. Pour autant, il est des gens que ce qui se passe à l’intérieur de la tête d’un cheval passionnent, au point d’en avoir fait leur métier.

Nicolas Blondeau, d’abord. Le charismatique « dresseur » de chevaux bien connu du monde des courses, auteur notamment de miracles très médiatisés auprès d’Epicuris et d’autres. Lui est formel : Bold Eagle ne souffrirait d’aucune pathologie comportementale. « Un cheval qui ne voudrait plus aller au combat ne conclurait pas 2e de ses courses […] Il faut bien comprendre que le boulot d’un cheval de course est de courir. Et faire de son mieux, c’est dans son tempérament. »

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CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE NICOLAS BLONDEAU

Nicolas Blondeau explique son métier de dresseur – donc capable de faire perdre aux chevaux des mauvaises habitudes etc. – en le distinguant bien de celui de l’éthologue, qui lui est un simple observateur de comportements équins. Aussi, nous avons joint des spécialistes en éthologie, afin qu’ils nous en disent un peu plus quant à ce que l’on peut comprendre en étant de simples observateurs des 2e places à répétition de Bold Eagle…

Hélène Roche est formatrice en éthologie. Titulaire d’un DESS en éthologie appliquée, elle enseigne sa discipline dans le cadre de formations. « L’éthologie, définit-elle, c’est réussir à rendre plus autonome les hommes de chevaux en les aidant à mieux les comprendre. Avant l’éthologie, lorsqu’on travaillait avec un cheval, des hommes se chargeaient de les dresser pour nous fournir une « notice » et que l’on n’ait plus qu’à appuyer sur les bons boutons. L’éthologie permet d’apprendre à mieux comprendre son cheval, à mieux le regarder. »

Discipline scientifique, l’éthologie ne fonctionne pas de façon empirique mais crée des études à partir d’échantillons tests, de critères mesurables etc. Et si peu d’études se sont pour le moment intéressées au comportement du cheval de course pour améliorer ses performances, quelques unes ont néanmoins été faites pour améliorer son bien-être. Aussi, ce sont des éthologues que viennent les études ayant engendré la baisse dans les réglements de la limite du nombre de coups de cravache en course.

Lorsqu’on a posé la question de Bold Eagle à Hélène Roche, elle n’a pas su nous donner de réponse, mais elle nous a fait nous poser plein de questions. Juste des hypothèses : « le souvenir d’un combat trop difficile ? », « le ras-le-bol ? », « moins d’envie ? », « la crainte de se faire mal ? » etc.

Beaucoup en tout cas font écho à des hypothèses que les journalistes ont pu émettre suite aux défaites du champion, mais rien de ferme et définitif. Pour elle toutefois, il est « complètement possible » que ces deuxièmes places à répétition soient en partie la résultante de ce qui se passe dans la tête du champion de Pierre Pilarski.

Elle prend un exemple pour que l’on entraperçoive mieux le champ des inconnues relatif à ce qu’il y a dans la tête d’un cheval : « j’ai dans ma carrière beaucoup observé les chevaux de Przewalski, qui vivent en Lozère en liberté. Ils vivent leur vie sociale de façon indépendante de leurs choix. Un étalon peut avoir des juments à saillir ou non selon s’il est à la « hauteur » pour. A la fois physiquement et mentalement. On a vu des chevaux qui, physiquement, avaient moins le gabarit pour affronter d’autres étalons, mais qui prenaient tout de même la tête d’un groupe. Idem, des chevaux boiteux parvenaient à garder leur statut de dominant d’autres non. Des chevaux savent passer outre la douleur, d’autres non. Des chevaux sont des dominants, d’autres non. »

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UN CHEVAL DE PRZEWALSKI

Tous ces comportements sont pour elle le fruit de mois d’observation, et la difficulté avec le cas Bold Eagle, c’est de construire des conditions d’études propices à l’objectivation scientifique. »Je pense que la personne la mieux avisée pour comprendre le cheval, c’est son entraîneur. J’ai remarqué dans mon travail que les gens des courses avaient une belle lecture de leurs chevaux, pas forcément avec les explications scientifiques, mais leurs raisonnements empiriques rejoignent souvent nos objectivations. Pour essayer de comprendre scientifiquement ce qu’il se passe dans la tête de Bold Eagle, il faudrait trouver un échantillon test de X chevaux dans le même cas de figure que lui – qui gagnaient mais ne gagnent plus. C’est trop compliqué. Il faudrait peut-être plutôt prendre le problème dans l’autre sens. Observer Bold Eagle, le scruter aux échauffements, aux heats, dans son box, en course etc. et arriver à émettre des hypothèse à vérifier au fil des performances. »

Vous l’aurez compris, on n’aura ici pas d’autre réponse que celles de Sébastien Guarato. On a bien essayé de transmettre tout plein d’images de Bold Eagle dans son box, à l’entraînement, en canters, en course à des éthologues, aucun n’a pu nous éclairer complètement.

La seule réponse que tous ont pu nous formuler, c’est qu’il s’y passait certainement beaucoup plus de chose que l’on ne pourrait l’imaginer, dans la tête du champion. Et qu’ils regarderont avec attention les images de la prochaine victoire de Bold Eagle, parce que la fierté, nous ont-ils appris, est un comportement souvent observable chez un cheval qui défile après un sacre.

Sources : Equidia Live par Jean-Baptiste Morel.